Une passerelle possible entre le français et les mathématiques
L'article suivant prend appui sur une réflexion alimentée par des expérimentations dans des classes de collège ainsi que par des échanges dans le cadre d'actions de formation continue. Il nous invite, sur le thème de la démonstration, à une ouverture vers une autre discipline.
Le désir de travailler ensemble s'exprime souvent au hasard de conversations glanées entre collègues. Mais ce désir quitte rarement le discours pour passer dans l'action : si l'idée du partenariat séduit, la lourdeur de sa mise en place décourage. Pourtant, la nécessité d'une action transdisciplinaire se fait sentir chaque jour avec acuité dans nos établissements et de nombreux professeurs voient dans cette démarche un moyen de redonner crédit et sens à nos disciplines respectives. À ce titre, l'apprentissage de l'argumentation en premier cycle peut permettre entre le français et les mathématiques un rapprochement dont il conviendra ensuite, niveau par niveau, de définir les modalités.
C'est un texte qui a une finalité : convaincre un destinataire pour lui faire partager une idée qu'il ne partageait pas initialement, d'où l'artifice littéraire qui consiste à s'inventer un destinataire. La littérature épistolaire du XVlllème siècle usa fort de ce procédé : on écrivait des textes d'idées à un destinataire étranger et donc imaginaire, et qui n'était la plupart du temps qu'un double éclairé du lecteur de l'époque.
C'est un texte fondé sur une confrontation d'idées : il met en présence la thèse défendue et la thèse réfutée en usant d'une stratégie élaborée avec soin. C'est donc un discours étayé par des arguments qui peuvent eux-mêmes prendre appui sur des exemples et c'est de la valeur des arguments qu'un exposé d'idées tire sa principale force de persuasion.
Ainsi que l'a montré Alain Boissinot dans son ouvrage Les textes argumentatifs (collection didactiques CRDP Toulouse), les deux démarches supposent une même rigueur car dans les deux cas la valeur de la production vient du montage intellectuel qui l'a construite. En revanche, non seulement le langage de la démonstration et celui de l'argumentation diffèrent mais diffèrent aussi la visée des textes et par là même leur fonction. En termes de communication il n'y a dans une démonstration mathématique ni émetteur ni récepteur, le texte est une succession d'énoncés sans pôle énonciatif. S'il y a énonciation elle est impersonnelle, anonyme et donc interchangeable, à l'inverse du texte argumentatif qui n'existe que par son auteur et son engagement personnel au service de la cause qu'il défend. De même, si dans une démonstration scientifique, les étapes du raisonnement progressent par coordination (le résultat d'une étape étant le point de départ de l'étape suivante) dans une concaténation logique où l'absence d'un maillon casse la chaîne, les arguments d'un texte littéraire s'enchaînent à l'opposé dans la continuité sémantique et prennent leur force de leur ensemble. On voit aisément tout le parti qu'il y aurait pour l'élève d'avoir sous les yeux les deux démarches posées en parallèle dans leur rigueur commune, leurs articulations grammaticales, leur vocabulaire spécifique et leurs présupposés : la démonstration est du domaine de la vérité, l'argumentation du domaine de l'opinion ; la première s'adresse à un auditoire universel tandis que la seconde cherche à rallier le lecteur à sa cause, le scientifique parle au nom de la logique tandis que le littéraire la met au service de l'idée.
Mettre à plat l'itinéraire didactique de sa discipline pour une classe donnée est la première étape individuelle de tout travail collectif. Reste ensuite à le superposer à l'itinéraire de la discipline voisine et à observer les points de rencontre ou les oppositions pour voir dans quel sens le travail peut s'engager. L'élève mis au centre de cette synergie peut alors grâce à une perspective globalisante comprendre dans la classe de mathématiques l'objectif visé par le texte littéraire (l'inverse est aussi possible !). Certes, cela demande une collaboration étroite et un projet commun. Et bien sûr, on cherche plus qu'on ne trouve et on trouve bien plus qu'on ne réussit. Mais il en est ainsi de tous les apprentissages...
On trouvera un développement de cet article dans un document qui sera prochainement diffusé dans les collèges de l'académie.