Réciproques n°4, décembre 1997

La place des filles dans les filières scientifiques

Il y a deux cents ans, alors que Condorcet essaie de promouvoir l'éducation des femmes, on se demande si trop de connaissances ou des notions trop abstraites ne vont pas affoler leur esprit et les détourner de leurs aspirations féminines naturelles. Quand, en 1881, Camille Sée propose la création de l'ENS de jeunes filles, le débat à l'Assemblée Nationale, houleux, porte sur la capacité des femmes à transmettre le savoir. Et de nos jours ?... 

 

Quelques chiffres

Au lycée

Alors que les classes de seconde comptent 55,1 % de filles(1), on n'en trouve plus que 41,9 % en Terminale S, tandis qu'elles sont 60,3 % en ES et 81,2 % en L. De plus, lors du choix de la spécialité en TS, les filles se tournent moins que les garçons vers mathématiques ou physique-chimie :

diagramme

Pourtant, le taux de réussite des filles au bac S est un peu supérieur à celui des garçons et elles sont plus en avance dans leurs études.

À l'université Bordeaux I

Le pourcentage des filles parmi les inscrits se répartit comme suit :

1er cycle 36
2ème cycle 40
3ème cycle 35

Plus précisément, elles représentent 37 % des inscrits en maîtrise de mathématiques, 26 % en maîtrise d'ingénierie mathématique, mais 55 % en maîtrise de sciences de la terre. Enfin, en 97-98, parmi les 85 inscrits à la préparation de l'agrégation externe de mathématiques, on ne trouve que 22 filles.

Dans les CPGE

Le pourcentage des filles (métropole et DOM) parmi les inscrits en 1ère et 2ème année est :

classes scientifiques 25
classes économiques 51
classes littéraires 73

De plus, au sein des classes scientifiques, les filles représentent par exemple 57,4 % en section biologie, mais seulement 24 % en MPSI-MP-MP*. Ces dernières années, le nombre de filles est en hausse en biologie mais stagne en mathématiques.

Pourtant, les performances des filles aux concours des Grandes Écoles sont comparables à celles des garçons : à Polytechnique 96 M', elles représentaient 12,6 % des candidats, 12,5 % des admissibles et 14,1 % des entrants.

Les Grandes Écoles recrutant sur les CPGE scientifiques ne comptent que 15 % de filles, alors que leurs directions apprécient la forte motivation, le dynamisme et l'apport original de leurs élèves féminines et souhaitent en accueillir davantage.

 

Pourquoi cette situation et comment la modifier ?

Un colloque(2) s'est tenu sur ce sujet au Palais du Luxembourg à Paris le 11 janvier 1997. En voici quelques conclusions.

« Le premier frein à la réussite des femmes est constitué par les femmes elles-mêmes ». Un des obstacles importants semble être en effet d'ordre culturel. Les jeunes filles perçoivent leurs aptitudes de façon plus modeste que les garçons, en particulier en mathématiques ; elles renoncent d'ailleurs parfois à passer les concours des écoles les plus prisées pour assurer un succès dans une école plus facile d'accès.

Elles choisissent leur orientation davantage en fonction de leurs goûts que de leur avenir professionnel. Enfin, elles disent ressentir de façon négative une ambiance de compétition et préférer des types de formation valorisant des qualités dans lesquelles elles se reconnaissent davantage : travail en groupe, travail en profondeur s'ins-crivant dans la durée, communication.

Il serait bon que les mathématiques apparaissent comme une discipline vivante et en pleine évolution et non comme scléro-sante et abstraite. Il apparaît aussi souhaitable de faire connaître des personnalités scientifiques féminines et de favoriser leurs rencontres avec les collégiennes et lycéennes, de présenter de façon attractive les métiers d'ingénieur et de chercheur.

Les parents envisagent une TS pour 70 % des garçons et seulement 45 % des filles. Ils donnent pour les garçons un même poids à la réussite matérielle et au bonheur domestique, alors que pour les filles ce dernier facteur est affecté d'un poids trois fois plus important que le premier. Ils trouvent les conditions de travail en CPGE trop éprouvantes pour les filles, s'interrogent sur leurs perspectives professionnelles et craignent pour elles des difficultés spécifiques. On pourrait donc améliorer l'information sur la variété des carrières scientifiques (qui ne se réduisent pas au seul métier d'ingénieur), ainsi que l'information sur les études et la vie dans les Grandes Écoles.

De plus, très concrètement, certains lycées continuent à n'accueillir dans leur internat que très peu de filles ou pas du tout. Il faudrait créer des internats pour les filles et atténuer l'isolement de ces étudiantes en ménageant, par exemple, des classes où elles seraient plus nombreuses.

Pourquoi, enfin, ne pas réfléchir sur la forme et les critères de sélection des concours et leur adéquation avec les compétences requises dans la vie professionnelle actuelle ?

Les enseignants ont en général tendance à croire qu'un garçon réussit plutôt grâce à sa rapidité et à son astuce, une fille grâce à son assiduité au travail et à sa capacité de concentration.

De plus les interactions maître-élève sont plus nombreuses avec les bons élèves qu'avec les bonnes élèves. Il en résulte une sous-estimation accrue des filles envers elles-mêmes.

Il serait nécessaire que les enseignants et tous les acteurs de l'orientation et de la formation en général soient vigilants et participent à une évolution des mentalités.

1 Les chiffres non référencés concernent l'année 96-97.

2 Organisé par l'AFFDU (Association Française des Femmes Diplômées des Universités) et « Demain la Parité ».