« À quoi servent les mathématiques ? » Quelle figure historique peut mieux illustrer cette question que l'Italien Galileo Galilei (1564-1642) ? Celui-ci excellait sur toute l'étendue de sa science entre abstraction et concret. Inventeur de la lunette astronomique, doté au plus haut point du sens de l'expérimentation, il fut aussi le fondateur de la Physique moderne, donnant le premier la loi de la chute des corps et découvrant la forme parabolique de la trajectoire des projectiles. Mais, on l'oublie trop souvent, Galilée fut aussi, et peut-être avant tout, mathématicien.
Ceci apparaît on ne peut plus clairement dans son livre « Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles »(1), dont la lecture est encore de nos jours passionnante et lumineuse.
Lorsque Galilée aborde l'un des sujets les plus importants de son ouvrage, la « chute des graves », il commence par l'étude d'un mouvement théorique, mathématique, défini de la façon suivante : « en des temps égaux quelconques se produisent des additions égales de vitesses ». Il démontre à propos de ce mouvement de nombreux théorèmes, par des méthodes elles aussi presque exclusivement mathématiques.
Cependant, en définissant ce mouvement, Galilée a insisté sur la nécessité « [que] toutefois notre définition du mouvement accéléré [rejoigne] bien l'essence du mouvement naturel-lement accéléré. Nous croyons fermement, après de longs efforts, y être parvenu ; notre conviction s'appuie avant tout sur la correspondance et l'accord rigoureux qui semblent exister entre les propriétés que nous avons successivement démontrées et les résultats de l'expérience. » (2)
Pour Galilée, donc, la physique commence par l'expérience, laquelle motive une recherche mathématique, qui doit à son tour être confrontée aux faits et à l'expérimentation pour être validée. N'est-ce pas une présentation magistrale des rapports entre physique et mathématiques ? Mais quelles étaient ces mathématiques que Galilée utilisait et faisait progresser ?
Elles consistaient d'abord en un maniement subtil et virtuose de la proportionnalité, de la proportion-nalité inverse, du carré, de la racine carrée, et même de la « proportion sesqui-altère » : il s'agit donc des fonctions qui, avec nos notations, à x associeraient : kx, k/x, x2, ou x3/2. Galilée n'utilisant aucune notation algébrique, toutes ces relations s'exprimaient par des mots ou des figures géométriques, jamais par des formules.
Par exemple, le Théorème II du mouvement uniformément accéléré établit que : « en partant du repos, les espaces parcourus en des temps quelconques par le mobile sont entre eux en raison double des temps, c'est-à-dire comme les carrés de ces mêmes temps », et le Corollaire I que « les espaces parcourus en des temps égaux par un mobile partant du repos ont entre eux même rapport que les nombres impairs successifs partant de l'unité. »(2) Ce résultat proviendrait pour nous d'une étude de la fonction « carré ».
Grâce à ces mêmes relations, Galilée explique pourquoi une pierre coule rapidement dans l'eau, alors qu'une poussière du même matériau descend plus lentement. C'est, dit-il, parce qu'à forme égale, le volume et le poids d'un objet sont « en proportion sesquialtère de sa surface » (de la forme k.S3/2). En conséquence, lorsque la taille du caillou diminue, son poids, qui lui fait acquérir de la vitesse, décroît plus vite que sa surface, laquelle détermine la résistance que l'eau exerce sur le caillou. La vitesse de celui-ci est donc au total moindre(2). On ne peut qu'être admiratif devant les résultats que Galilée obtient grâce aux seules fonctions que connaissent nos élèves de Troisième ou de Seconde.
Mais l'intérêt de Galilée ne se porte pas seulement sur cette « algèbre » somme toute élémentaire(3). Prenant la suite des philosophes et mathématiciens du Moyen-Âge et de la Renaissance, il mène dans le même ouvrage une réflexion sur l'infini et les indivisibles, qui conduira, via son élève Cavalieri, Pascal et d'autres, au Calcul Infinitésimal.
Esprit pratique mais capable des spéculations abstraites les plus audacieuses, héritier de l'Antiquité et fondateur de la Science moderne, homme courageux, énergique, subtil, Premier Physicien et Grand Mathématicien, tel nous apparaît Galilée.
1 Avec introduction, traduction et notes de Maurice Clavelin,
PUF, collection Épiméthée.
2 Op. cit.
3 Galilée exploite aussi sa grande connaissance des coniques : cercle
et, bien sûr, parabole.