Les mathématiques : un jeu ou une nécessité ? |
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Carte blanche à Alain OUSTALOUP Professeur dAutomatique à lENSERB - Expert au Ministère et Chargé de Mission à la Direction Générale du CNRS n°5, mars 1998 |
Dun CAP délectronique à une médaille dargent du CNRS sans passer par le bac : voilà pour le moins un parcours atypique que je reconnais volontiers et que jattribue en partie à une absence totale de planification, tant de ma scolarité que de ma carrière professionnelle. Il est vrai que ma seule volonté a toujours été de mener des recherches avec un souci constant dapporter une contribution scientifique, certes modeste, mais clairement identifiable et en dehors des sentiers battus, pour ne pas dire en quadrature avec lécole de pensée dans laquelle jétais immergé.
Aller ainsi du concret vers labstrait est sans doute une voie des plus réalistes qui, très tôt, ma permis de considérer les mathématiques comme une nécessité absolue et pas seulement comme un exercice de style. Dans nos sciences dites « dures », elles constituent en effet le langage incontournable pour communiquer avec les objets. Cest dire que, dans le cadre de la formation, lobjet doit toujours être sous-jacent à leur enseignement. Mais les mathématiques ne doivent pas être limitées à la description des objets par des modèles ; elles doivent également permettre la résolution des représentations analytiques de ces modèles.
Par ailleurs, je voudrais souligner le respect quil convient
daccorder aux mathématiques anciennes (par opposition à celles dites modernes).
Mes contributions se situent en effet dans le prolongement direct didées
initialisées respectivement au début du 19ème siècle et au début du 20ème. Le
souci dassurer la continuité de lordre de dérivation remonte au
début du 19ème siècle ; une telle continuité de lordre implique génériquement
la notion de dérivation non entière. Celui dassurer la continuité de la
dimension despace remonte au début du 20ème siècle ; cette continuité
de la dimension implique la notion de figure ou despace de dimension non
entière ou, génériquement, de fractalité ou de fractale.
Si la fractalité relève de la géométrie alors que la dérivation non entière
relève de la dynamique des systèmes, la seconde moitié de ce siècle révèle linterdépendance
fractalité-dérivation non entière.
Partant de lhypothèse de fractalité de la porosité, nous avons
montré dans les années 80 que la relaxation de leau sur une digue poreuse
est régie par une équation différentielle linéaire dordre non entier compris
entre 1 et 2, dont la solution dépend bien de la masse deau en mouvement,
mais dont lamortis-sement en est rigoureusement indépendant ; il est en
effet exclusivement lié au degré de porosité de la digue, exprimant ainsi que
le caractère désordonné détermine lamortissement dans la nature. Un tel
phéno-mène est plus général quil ny paraît : il se manifeste également
dans le cas de la relaxation de lair, aussi bien dans un poumon que sur
le feuillage dun arbre.
Enfin nous avons cherché à valoriser lapproche conceptuelle ainsi définie
en lappliquant aux suspensions des véhicules. À cet effet nous avons conçu
et réalisé la suspension CRONE qui équipe actuellement une Citroën BX.
Finalement, si les mathématiques proprement dites jouent un rôle important de par leur omniprésence, leur langage doit être adapté aux contraintes de lenvironnement dont une prise en compte rationnelle exige, de la part des acteurs, un esprit douverture, de lintuition, de limagination et beaucoup de pugnacité pour aboutir à de véritables résultats directement transférables.