Réciproques n°8, mars 1999

100% des joueurs ont tenté leur chance…

Une animation sur le thème " LE HASARD : LES JEUX, LA VIE " a eu lieu à Pau au mois de décembre (cf. RéciproqueS n°7). José Rose, professeur de sociologie à l’Université de Nancy II, a tenu une conférence sur : " Le hasard au quotidien ". La partie consacrée aux jeux a particulièrement retenu notre attention.

 

Jeux de grattage, de banque, de pronostic… leur prolifération montre bien leur succès. Ils occupent une place financière et médiatique extrêmement importante : 90 milliards de francs leur ont été consacrés, en 1997 - soit 1500 F par habitant, tous âges confondus - et revues, logiciels, assistance téléphonique, séminaires pour apprendre à gagner sont proposés en grand nombre.

Au sein de ce phénomène de masse, se joue un jeu à trois : organisateur, joueur, statisticien. Leurs intérêts sont assez divergents, même s’ils donnent parfois l’impression d’être mêlés. " 100% des gagnants ont tenté leur chance " est plus vendable que " 1 joueur sur 14 millions a gagné " ! Or les différences de point de vue sont très grandes. Le statisticien va être intéressé par le calcul des probabilités, l’organisateur par l’espérance du gain et les règles permettant de lui garantir un profit ; quant au joueur, il se contente en général d’une appréciation très intuitive de sa probabilité de gagner et succombe volontiers à l’illusion du gain, en étant souvent convaincu qu’il est capable de vaincre le hasard. De ce fait, toutes les ambiguïtés peuvent se manifester.

La première ignorance sur laquelle s’appuient les organisateurs est la différence entre les jeux de loterie et les jeux de pronostic. Le même nom est, par exemple, volontairement employé pour le loto où chaque numéro a la même probabilité de sortir, et le loto sportif pour lequel il est possible d’anticiper une victoire en se fondant sur les résultats antérieurs. Publicité et journaux confortent cette ambiguïté : " Le numéro 5 est en forme cette semaine : il est sorti trois fois ! "

La deuxième ignorance porte sur la distinction entre petites séries et loi des grands nombres. Le joueur n’a l’expérience que d’un petit nombre de courtes séries et pourtant, plus ou moins inconsciemment, se situe par rapport à cette loi. " Si un numéro est en retard par rapport à sa probabilité théorique, c’est qu’il va sortir ! " C’est ne pas tenir compte du caractère tendanciel de la loi des grands nombres, qui est très importante pour le statisticien mais de peu de poids pour le joueur.

La troisième ignorance repose sur l’idée que, dans les tirages aléatoires, l’écart est la règle : si on joue dix fois à pile ou face, il est beaucoup plus difficile d’obtenir cinq pile et cinq face que tout le reste.

La quatrième ignorance touche la distinction entre l’espérance et la probabilité. Le joueur devrait avoir en considération, non seulement sa probabilité de gagner, mais aussi son espérance de gain qui combine le revenu et la probabilité de l’événement. Or l’important pour lui, c’est l’espoir d’un gain considérable même s’il est très rare. C’est le fameux pari de Pascal : la probabilité que Dieu existe est faible, mais le gain étant infini, l’espérance est grande.

La dernière ignorance porte sur la notion d’indépendance. Il n’est pas évident d’accepter cette idée ; l’apprentissage des notions de probabilité pose un problème de vision du monde, d’un certain rapport aux événements ; il faut souvent lutter contre l’impression immédiate. C’est là aussi que les organisateurs de jeux créent l’ambiguïté. " Dans ce bureau de tabac, on gagne au loto ! " La victoire de la semaine passée est affichée comme la preuve que le hasard va retomber au même endroit.

 

Dans les jeux comme dans la vie courante, nos rencontres avec le hasard sont fréquentes et souvent mal maîtrisées. Il existe un grand écart entre ce que la théorie des probabilités nous dit et ce que nous en faisons au quotidien, tantôt consciemment, tantôt à défaut de connaissances. On peut imaginer une stratégie de jeu, ou plus généralement une vie, fondée sur les probabilités, ou au contraire un mode de vie qui ignore tout cela et se laisse bercer par le hasard et le rêve… puisque, au niveau de l’individu, tout est possible.