Les mathématiques : le mouvement perpétuel |
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Carte blanche à Jean Pierre Kahane, Professeur émérite à l'Université Paris-Sud Membre de l'Académie des Sciences. n°8, mars 1999 |
Tout change, tout fait peau neuve, cest là le propre de la science selon Victor Hugo ; la mathématique lui donne bien raison. Un ouvrage collectif va paraître prochainement, sur le développement des mathématiques entre 1950 et 2000. Lintroduction souligne, dès la première phrase, que ce projet était une gageure. Comment rendre compte, de façon fidèle, de lexplosion scientifique qui a eu lieu dans cette période ? Tout a changé : les ordres de grandeur, les modes de communication, les orientations majeures.
Le nombre des mathématiciens actifs en recherche en 1999 est de cent mille ; en 1949, il était de trois mille. Il double environ tous les dix ans. Durant chaque décennie de la période, la production mathématique, évaluée en nombre darticles de recherche, a augmenté dans la même proportion. Or la capacité de lecture de chaque mathématicien est limitée. Dès lors, comment s'organise la communication entre mathématiciens ?
Aujourdhui les lettres manuscrites séchangent par fax, les circulaires se diffusent par courrier électronique, linformation circule en permanence et se discute dans les séminaires, colloques et congrès ; larticle imprimé a perdu son rôle de communication première. Les progrès sont rapides, sur une base géographique très étendue (les " laboratoires sans murs " que permet la communication électronique) et sur une base thématique et linguistique étroite (la sous-spécialité et son sabir spécifique, issu de langlais). Face à lhyper-spécialisation, le souci dune communication élargie se fait jour. Cest le sens même du projet 1950 2000 dont je viens de parler.
Cette orientation est nouvelle. Au cours de ce siècle, les mathématiques ont crû dans toutes les directions, elles ont dégagé des nouvelles pistes, mais avec des tendances dominantes bien différentes selon les époques : la réflexion sur les fondements et lélaboration de la méthode axiomatique au début du siècle, la mise en forme bourbakiste à partir des structures au milieu, et maintenant leffervescence des interactions des mathématiques, à leur intérieur entre différentes branches, comme à leur extérieur, avec lensemble des sciences et des techniques. La conscience quont les mathématiciens de lunité de la mathématique tient dabord, aujourdhui, à la remarquable fécondité de ses interactions. La démonstration du théorème de Fermat en est une manifestation, comme aussi les merveilleux résultats de topologie suggérés par la physique, ou les méthodes liées à linformatique.
Les mathématiques, puisant partout de nouveaux sujets, élaborant et apprivoisant de nouveaux concepts, alimentant toutes les sciences et pratiques humaines, nont jamais été plus mêlées à la vie des hommes. Et cependant cest à juste titre quà loccasion de lan 2000, " année mondiale des mathématiques ", lUnion Mathématique Internationale souhaite faire sortir les mathématiques de leur " invisibilité ". Cest laffaire des mathématiciens, bien sûr, mais aussi de tous ceux qui assurent le premier relais vers la société des connaissances nouvelles et qui ont, professionnellement, la charge de lavenir. Comment peut se traduire dans lenseignement ce mouvement perpétuel des mathématiques ? Avec discernement et précaution, parce que les mathématiques constituent aussi une référence commune dans toutes les cultures. Le chantier est ouvert : quoi enseigner, pourquoi, comment ? Ne fût-ce que par ce bulletin, chacun dentre vous est associé à cette réflexion nécessaire.