Mathématiques coupées de la réalité ? |
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Applications des mathématiques Jean-Jacques Risler, Professeur de mathématiques à Paris 6, ancien président de la Société Mathématique de France. n°9, mai 1999 |
Lefficience des mathématiques dans le monde technique et scientifique de cette fin de deuxième millénaire est considérable. Leur champ dintervention se situe, me semble-t-il, à trois niveaux différents.
Tout dabord, les sciences sexpriment avec des mathématiques. Je veux parler ici des sciences qui appréhendent les phénomènes naturels avec des mesures quantitatives (comme la physique, la chimie, etc.). On peut dailleurs noter que même les sciences " non quantitatives ", dès lors quelles sintéressent à un grand nombre dobjets ou dévénements, utilisent des méthodes statistiques qui sexpriment en termes mathématiques (quelquefois très élaborés). Cest par exemple clairement le cas de la médecine.
Le second niveau est constitué par les mathématiques dites appliquées. Citons, par exemple, la météo, la mécanique céleste (guidage des fusées ou satellites), la mécanique des fluides, etc. Bref, chaque fois que lon a besoin de simuler un phénomène, soit quil soit impossible de faire des expériences, soit que ces expériences soient trop coûteuses ou dangereuses, on fait appel à des mathématiques parfois très sophistiquées pour modéliser et prévoir les phénomènes.
De plus, pratiquement tous les processus industriels élaborés, comme par exemple la C.A.O. (Conception Assistée par Ordinateur), sont conçus avec une base mathématique. Pour faire image, on peut affirmer que si dans un avion on supprimait toutes les parties dans la conception desquelles sont intervenues les mathématiques, il ne resterait que les membres déquipage, et encore sans leurs uniformes ou sous-vêtements !
Enfin, le troisième niveau est celui des mathématiques dites " pures ". La démarche du mathématicien peut sembler de caractère purement spéculatif : il se déplace apparemment de manière arbitraire dans un monde virtuel, créant des concepts qui lui permettent de structurer et dunifier des " objets " préalablement identifiés, pour définir dautres objets, en une sorte de jeu de cubes abstrait et sans fin...
Cependant cette démarche nest arbitraire quà première vue. En premier lieu, les mathématiciens sont souvent guidés par des conjectures, comme dans le cas du fameux " Théorème de Fermat ". Ensuite, les hypothèses de départ et les règles de raisonnement sont intimement liées aux propriétés du monde réel, explicitement ou inconsciemment. Ceci peut expliquer peut-être que souvent des théories issues de spéculations les plus abstraites et les plus éloignées de toute considération pratique trouvent des applications insoupçonnables a priori (Le célèbre physicien américain Eugène Wigner parle de " The unconceivable effectiveness of Mathematics in Natural Sciences ").
Citons quelques exemples : certaines théories échafaudées avant lère électronique, comme le l -calcul par exemple, se sont révélées cruciales en informatique ; la théorie des nombres et la géométrie algébrique sur les corps finis, sappliquent en cryptographie pour fabriquer des codes secrets pratiquement inviolables et fournissent des " codes auto-correcteurs " aux performances inégalées. Citons encore les nombreuses applications des mathématiques à la finance, le fait que le principe du fonctionnement du scanner est fondé sur un théorème profond danalyse (la " transformée de Radon "), et enfin la " théorie des nuds ", branche très active de la topologie, qui a récemment trouvé des applications insoupçonnées pour la compréhension de la " géométrie du génome ".
En conclusion, il est peut-être vrai que lenseignement des mathématiques donne quelquefois limpression dêtre coupé de toute réalité : cest un fait auquel il faut sattaquer, et non aux mathématiques en tant que telles qui ont été, sont, et seront toujours indispensables à toute démarche scientifique.