Accepter des solutions négatives |
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Culture Ives RAUZIER - professeur au Lycée Élie Faure de Lormont n°11, mars 2000 |
Le passé nous a montré que, bien souvent, dans la recherche scientifique, les difficultés de trouver ont été augmentées par celles dadmettre ou de faire admettre à ses contemporains les résultats mis en évidence.
Les recherches de Galilée ou dEinstein en sont des exemples bien connus. Moins " médiatisées ", mais tout aussi significatives, de nombreuses " trouvailles " mathématiques ont dabord suscité la méfiance ou même lhostilité. Pourtant, ces résultats sont aujourdhui non seulement admis par tous, mais considérés comme élémentaires dans bien des cas.
Le calcul différentiel connut ses détracteurs. Colin Mac LAURIN (1698-1746) dont le nom est notamment rattaché à lune des formules de Taylor repoussa les attaques du philosophe et évêque irlandais Georges Berkeley. Lensemble des quaternions de William HAMILTON (1805-1865) provoqua la stupéfaction. Cétait une révolution pour lépoque de considérer des nombres formant un espace de dimension 4 dans lequel la multiplication nest pas commutative... Plus près de nous, les travaux sur les ensembles de Georg CANTOR (1845-1918) avancèrent des idées surprenantes pour lépoque, sattirant lopposition ou les critiques de certains mathématiciens comme Kronecker, Poincaré ou Klein. Et pensez donc au commun des mortels : comment lui faire avaler " léquipotence " de lensemble des rationnels avec celui des entiers naturels !...
Mais il nest pas toujours utile daller chercher des exemples bien compliqués ou touchant des mathématiques parfois plus avancées. Considérons une équation du premier degré du type x + 3 = 0
La solution, négative, sera trouvée sans trop de difficulté au collège et surtout acceptée sans hésitation. Cette acceptation na pas été toujours de mise. Dans un article de 1985, Jacques Sesiano, professeur à lécole polytechnique fédérale de Lausanne, a fait le point sur lapparition des solutions négatives dans les mathématiques du moyen âge(1). Elles étaient toujours refusées par les mathématiciens, quils soient arabes, chinois, indiens ou européens.
Alors ? À quand remonte la première acceptation dune solution négative ? Difficile dêtre affirmatif car il est certain que nous ne connaissons pas tous les documents mathématiques publiés au cours du temps, et encore moins lorsquil sagit de périodes reculées.
Dans létat actuel des connaissances, le plus ancien document présentant un problème avec une solution négative acceptée est un manuscrit de 1480 écrit en occitan (ou langue doc) et conservé à la bibliothèque nationale de Paris. Lauteur est inconnu mais le document vient de Pamiers.
Cet ouvrage nous rappelle que loccitan a été une grande langue de communication au moyen âge (celle des troubadours...) et largement utilisé à lécrit avant lÉdit de Villers-Cotterêts. Il contient également un calcul de racines carrées qui améliore les approximations antérieures. Mais le grand intérêt réside dans lacceptation sans interprétation dune solution négative à un système déquation (10 et tres quartz mens de non res).
Concluons avec le commentaire de Jacques Sesiano(2) : "On peut déjà remarquer que ce problème à solution négative est le dernier dun groupe de trois problèmes, dont les deux premiers - qui ont, eux, des solutions positives - sont traités par le même algorithme ; que le type de ces problèmes est dune origine très ancienne mais que les données numériques choisies par notre auteur (bien que plus simples) ont été généralement évitées par les mathématiciens précédents. Il est donc permis de supposer que ces valeurs avaient déjà été " essayées ", puis rejetées par les auteurs antérieurs. Quoi quil en soit, cette première acceptation dune solution négative résulte clairement de lutilisation conséquente dun algorithme de résolution, appliqué indépendamment de la signification concrète des conditions du problème. "
Plusieurs questions demeurent. Quel est lauteur du document ? Est-ce le premier à accepter une solution négative ?
(1) The appearence of Negative Solutions in Mediavel Mathematics, Archive for History or Exact Sciences, vol 32, n°2 (1985) pp105-150
(2) publié dans Une arithmétique médiévale en langue provençale, Centaurus (1984) vol 27, pp26-75
· Matematicas occitanas, article de Philippe CARBONE paru dans le GAI SABER n°419, julhet de 1999
· catalogue de lexposition : " Huit siècles de mathématiques en Occitanie : de Gerbert et des Arabes à Fermat. " (1993)