Commission
de réflexion sur l'enseignement des mathématiques
Communiqué n° 3
11 septembre 1999
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La commission a principalement examiné quatre dossiers lors de cette réunion. Les trois premiers avaient pour objectif principal dinformer les membres de la commission dans le cadre de sa mission :
Le " dossier sur lhistoire des réformes de lenseignement des mathématiques " répondait au souci de donner une signification historique aux évènements et aux discours qui accompagnent les réformes.
Le " dossier sur le baccalauréat " apparaît incontournable : cest en effet une véritable institution dont lévolution conditionne en grande partie celle de lenseignement.
Le " dossier sur les concours de recrutement " est tout aussi important, car il concerne les enseignants de demain.
Le quatrième " dossier sur la géométrie " a permis la plus grande réflexion sur ce thème. Son état davancement permet denvisager un premier " rapport détape " en décembre 1999. Comme les communiqués, il sera diffusé au plus grand nombre pour critiques, réflexions, et ouvertures, et remise en chantier éventuel.
Létude de ces quatre dossiers n a permis à la commission daborder le " dossier informatique " que tardivement. Ce dossier dont la priorité na dégal que la complexité na donc pu donner lieu quà un débat malheureusement trop court. Son étude plus approfondie sera faite lors de la réunion du 27 novembre.
Létude de chacun de ces dossiers a été initiée par une ou plusieurs interventions. Ces interventions sur lesquelles sappuient la réflexion de la commission ont pour objet principal de donner différents éclairages à létude dun dossier. Leur fonction, leur caractère oral, la liberté dexpression nécessaire au meilleur débat au sein de la commission nen permettent pas une diffusion en létat vers lextérieur. Nous vous en proposons donc des résumés extrêmement réducteurs, qui ont pour objectif de comprendre les enjeux des différents débats. Cependant certaines dentre elles peuvent être des éléments dinformation utiles. Cest le cas avec lintervention de Hélène Gispert sur lhistoire des réformes que lon trouvera en annexe.
Il a été initié par deux interventions, celle de Guy Brousseau sur la réforme de 1970, dite des " mathématiques modernes ", celle de Hélène Gispert (invitée) sur lhistoire des réformes de 1789 à 1960.
Guy Brousseau a souligné le caractère profondément original de la (ou plutôt des réformes) de 1970, pensée par les mathématiciens, qui, pour la plupart, étaient daccord pour soutenir un effort de profonde rénovation de lenseignement, sur la base dune réorganisation " bourbachique " des fondements de cette discipline, avec comme principale ambition de simplifier laccès aux mathématiques pour les élèves et pour leurs utilisateurs. Il a alors donné des éléments de réflexion pour expliquer son échec, voire son rejet.
Lhistoire des réformes de lenseignement des mathématiques est liée à la question fondamentale suivante, source de beaucoup de tensions : les mathématiques que lon veut enseigner dans telle ou telle institution scolaire relèvent elles dun enseignement de culture ou dun enseignement pratique. Hélène Gispert a montré en quoi cette question est liée à la question politique des rôles et des missions que les gouvernements successifs ont attribué à lécole. Cette intervention a été illustrée par la lecture de deux textes du 19ème siècle particulièrement intéressants car ils pourraient parfaitement apparaître comme des textes dactualité aujourdhui. On y retrouve le débat de fond entre " abstrait et concret ", entre " théorie et pratique ", entre " culture et utilitaire ", débat qui a traversé toutes ces réformes en donnant tour à tour le primat, donc le " pouvoir " à lune ou à lautre de ces idéologies, avec un phénomène de balancier remarquablement régulier !
Le débat qui a suivi a montré toute limportance quil fallait accorder à ce dossier et la commission souhaite en tenir compte dans les autres études.
Il a été initié par deux interventions de Jean-Pierre Richeton, et Marc Fort (invité).
Jean-Pierre Richeton a commencé par un rapide historique : en 1996/97, une " commission calculatrice au baccalauréat " a conduit une expérimentation portant sur lutilisation de la calculatrice aux épreuves de mathématiques du baccalauréat ; en 1997/98, suite à une démarche commune de lAPMEP, de la SMAI, de la SMF et de lUPS, cette commission, sous la présidence de Paul Attali, a été élargie en une " commission baccalauréat de mathématiques " qui, tout en poursuivant la réflexion sur les calculatrices, sest préoccupée de la possibilité de sujets " plus ouverts " ; en 1998/99, alors que le ministère semble abandonner la perspective dune calculatrice " labellisée ", cette commission a concentré son travail sur lélaboration dépreuves " démarquées de la tradition ". Jean-Pierre Richeton a alors fait le compte-rendu dune expérimentation dun tel type dépreuve menée auprès de 5000 élèves de première. Lanalyse fait apparaître à la fois lintérêt des élèves et des enseignants et les difficultés souvent liées à limpréparation à une telle évaluation. Ce thème de lévaluation est du reste lobjectif de travail de cette commission pour 1999/2000.
Marc Fort a alors informé la commission sur la mise en place début juillet par la DESCO dune commission chargée de réfléchir à larchitecture générale du baccalauréat, et de commissions chargées de réfléchir à lorganisation des nouvelles épreuves du baccalauréat dans différentes disciplines dont les mathématiques. Il est président de la " commission mathématique ".
Le débat qui a suivi a porté sur la finalité du bac et sur lévolution des modalités de son passage. Il faut toutefois examiner avec la plus grande prudence lévolution de cet examen, et mesurer les conséquences de tout choix. La commission suivra le travail des commissions qui travaillent sur ce dossier.
Ce débat a été initié par Marie-Thérèse Lacroix-Sonrier (invitée), présidente du CAPES Externe, Marc Fort, président du CAPES Interne. Claudine Ruget, présidente de lAgrégation Externe avait fait une intervention sur ce concours lors de la réunion précédente.
Marie-Thérèse Lacroix-Sonrier a dabord rappelé les trois étapes du CAPES : ladmissibilité, ladmission, la certification à lissue du stage IUFM. Cette dernière étape est très peu sélective, puisque seulement 1% des stagiaires sont refusés. Après avoir donné un certain nombre de données chiffrées sur la session 99 que lon pourra trouver dans le rapport du concours elle a signalé les points sur lesquels travaille actuellement le jury du concours : linformatique, qui ne doit pas rester une boite noire ; la calculatrice, dont lutilisation sera imposée dans un certains nombre de sujets doral ; lintroduction de la logique pour lutter contre le manque de rigueur constaté chez un certain nombre de candidats ; les probabilités et les statistiques, qui seront de plus en plus présentes dans le concours ; linterdisciplinarité, insuffisamment développée actuellement. Elle a enfin posé la question de la difficulté de lépreuve orale dite " sur dossier " qui pose le problème de ladéquation entre le public, essentiellement composé détudiants, et ce quon lui demande.
Marc Fort a commencé par un constat : baisse continuelle du nombre de candidats au CAPES Interne, certainement liée à larrêt du recrutement des maîtres auxiliaires et aux créations successives du CAPES Spécifique et du CAPES Réservé ; hausse constante de celui des candidats au CAERP, réservé aux enseignants du privé. Ces derniers sont beaucoup mieux préparés que ceux du public. Une sensible évolution de ce concours a eu lieu lan dernier, avec de nouveaux programmes donnant une plus grande place aux probabilités (il y avait des probabilités dans lécrit de la dernière session) et à laspect culturel avec lintroduction de lhistoire des mathématiques. Une des lacunes constatées chez un certain nombre de candidats est la méconnaissance des programmes, alors que ce sont des enseignants en exercice. Ce dernier point pose la question de comment faire pour quils soient réellement appliqués (voire connus) par la majorité des enseignants.
Le débat qui a suivi a principalement porté sur deux points concernant le CAPES Externe :
Ce dossier a été initié par Daniel Perrin, à partir dun document livrant ses réflexions sur la géométrie. Ce document sera la base du premier rapport détape de la commission qui sera prêt pour la fin de cette année 99.
Daniel Perrin a commencé par les questions de la place de la géométrie dans les mathématiques et de lévolution de son enseignement. Il a dressé un rapide historique de cette évolution : le point de vue qui a le plus influencé la géométrie jusquà une époque relativement récente est celui des grecs centré sur les deux notions de figure et démonstration, et reposant sur un système daxiomes ; un autre point de vue plus récent est celui de la géométrie analytique initié par Descartes. Létape historique suivante est celle de lintroduction des notions vectorielles et affines au 19ème siècle. Daniel Perrin sest alors davantage arrêté sur le programme dErlangen de 1872, avec les groupes de transformations et la théorie des invariants. Jusquen 1960 on a un enseignement de géométries de plus en plus " riches " au cours de la scolarité : euclidienne, affine, projective et anallagamatique. La réforme des mathématiques modernes a évacué une grande partie du contenu de la géométrie, avec lobjectif dintroduire le plus tôt possible lalgèbre linéaire. : minoration du rôle des figures, des notions dangles et daires ; disparition des cas dégalités des triangles ; disparition des géométries "riches ".
Après un état des lieux actuel, Daniel Perrin a donné un certain nombre de raisons pour lesquelles il lui paraît indispensable denseigner encore la géométrie : pour les mathématiques, pour les applications des mathématiques, pour la vision de lespace, pour lapprentissage du raisonnement, Le problème est de convaincre les " autres " que cet enseignement est intéressant.
Le débat qui a suivi a fait apparaître de nombreuse pistes de réflexion et de travail. En voici quelques unes, en vrac :
Après un accord général sur le travail de Daniel Perrin, la commission lui propose de le transformer dici décembre en un rapport détape. Elle va essayer de réunir les éléments pour une introduction présentant la géométrie de la façon la plus large possible, dans ses rapports avec la mécanique, la physique, linformatique, les arts et lensemble des activités humaines. Elle souhaite dès maintenant avoir des réactions externes sur ce thème, soit contributions aux questions posées ci-dessus, soit ouvertures dautres pistes de travail.
Ce dossier a été initié par Michel Merle qui a fait une rapide synthèse des travaux et réflexions actuels de la commission sur ce dossier. Des différences dappréciations se sont fait jour lors du débat. Ces différences ne portent pas sur le rôle de linformatique et des ordinateurs dans les mathématiques et leur enseignement ; à cet égard il semble que soit réalisé un large consensus, ainsi que sur la nécessité que soient renouvelés dans cette optique les contenus et les méthodes des enseignements de mathématiques. En ce qui concerne la culture des enseignants, lappel aux mathématiciens à produire sur des sujets de recherche actuels des textes ou programmes intéressants et accessibles pour les professeurs du secondaire vaut à fortiori pour les informaticiens. Le point de désaccord concerne les modalités des futurs concours de recrutement dans le secteur des sciences mathématiques. Lensemble, points daccord et points de désaccord, sera examiné à la séance du 27 novembre.
Outre les dossiers " géométrie " et " informatique, la commission travaillera sur le dossier " statistique " lors de sa prochaine réunion du 27 novembre.
Elle ouvrira un nouveau chantier : " le calcul de lécole élémentaire à luniversité ".
Résumé de lintervention de Hélène Gispert
Lhistoire des réformes de lenseignement des mathématiques est liée à la question fondamentale suivante, source de beaucoup de tensions : les mathématiques que lon veut enseigner dans telle ou telle institution scolaire relèvent-elles dun enseignement de culture ou dun enseignement pratique ? Cette question est ainsi liée à la question politique des rôles et des missions que les gouvernements successifs ont attribué à lécole.
Avant la révolution, cet enseignement est pour lessentiel assuré par des maîtres privés dans loptique de lentrée dans les grands corps techniques et militaires de létat : cest une discipline sélective, à finalité pratique et professionnelle.
En 1802 (Bonaparte), sont créés les lycées dont lenseignement est fondé sur le latin et les mathématiques et qui ne concerne que 4% dune classe dage, uniquement des garçons. Mais cet équilibre sera rapidement rompu au profit du latin et des humanités. Les mathématiques se retrouveront en fin de cursus. Le lycée est un lieu isolé de toute réalité contemporaine, du " quotidien ". LEcole Polytechnique est un lieu délite, mais pas lélite lettrée des classes dirigeantes.
En 1833 (Guizot), est créé le " Primaire Supérieur " pour lélite du " peuple ". Il y a alors une double structure : le secondaire, payant, élitiste, pour les garçons ; le primaire, école de tout le peuple, qui va devenir gratuite avec Jules Ferry, avec le primaire supérieur, dont lenseignement en mathématiques est à finalité pratique (arithmétique et géométrie) et qui va créer une dualité du système scolaire post-élémentaire au niveau des contenus et des objectifs.
En 1852 (Fortoul), cest la réforme de la " bifurcation ". Le lycée est alors en partie délaissé, car il ne forme pas les élites industrielles et commerciales dont léconomie a besoin et est jugé dangereux dans la mesure où il conduit à la notion de " déclassés " en " produisant " des élèves sans débouchés et sans qualification professionnelle. Cette réforme de la " bifurcation " va créer un lycée avec deux voies : une voie " classique " avec latin, une voie " moderne " sans latin avec un enseignement de mathématiques, de sciences et de langues vivantes. Cette réforme est dictée par la contestation et la remise en cause du rôle essentiellement culturel et désintéressé de lenseignement piloté par les humanités. Mais elle est " honnie ", " vomie " par le corps professoral, et très vite abandonnée.
En 1863 (Victor Duruy), on abandonne le " souci concret ". On retrouve alors un enseignement secondaire avec latin, et des humanités scientifiques avec un rôle culturel formateur. A côté se met en place un " enseignement spécial ", avec un programme de mathématiques beaucoup plus riche mais très appliqué qui perd cette spécificité à la fin du siècle lorsquà son tour il donne accès au " bac ".
Jules Ferry (années 1880) a fait peu de choses sur le secondaire, sinon enlever le latin des petites classes de lycée et y ajouter des mathématiques. Le " primaire supérieur " est alors en progression constante, tandis que le lycée secondaire est en perte de vitesse. Ces deux enseignements ont des objectifs très différents.
Arrive alors la grande réforme de 1902-1905, qui durera jusquen 1960, ce qui a entraîné un grand immobilisme de lenseignement pendant 50 ans. Cest la création dune voie secondaire moderne, parmi 4 filières (A,B,C,D), où les humanités classiques laissent la place aux mathématiques, aux sciences et aux langues vivantes. Lhoraire en mathématiques y est conséquent. Le lycée reste cependant un enseignement de culture. A coté du lycée (de garçons), est créé depuis Victor Duruy un enseignement secondaire féminin, sans latin, avec dautres programmes. On y enseigne les mathématiques dans un autre esprit, plus concret, dont une ligne de démarcation avec le lycée (de garçons) est la géométrie.
Le débat qui a amené ces changements est né du rejet du modèle de la culture des " anciens ", en affirmant comme valable dans lenseignement scientifique (donc mathématique) le primat de lexpérience et de la réalité. Le courant pédagogique dominant est que " lenfant est naturellement concret, intuitif ". Un exemple, depuis les débuts de la rénovation pédagogique dans les années 1880, est la création de la " leçon de choses " en primaire. " Il ny a pas que la théorie qui est formatrice ; la pratique lest aussi. ". Il faut donc aller du concret vers labstrait, en réservant le purement abstrait vers la seconde où commence un autre type denseignement. Ceci est vrai pour les mathématiques, en particulier pour la géométrie dont lenseignement sétale maintenant sur toutes les classes du lycée.
Du point de vue de lenseignement scientifique, on assiste à un renforcement des liens entre mathématique et physique, cette dernière créant des besoins mathématiques. Du point de vue plus mathématique, si lenseignement de lanalyse (lalgèbre) passe bien, celui de la géométrie coince, car il remet en cause des traditions fortes denseignement de la géométrie euclidienne et des conceptions de la géométrie affirmée dans ces réformes par les mathématiciens eux-mêmes comme une science physique.
On assiste assez rapidement aux dérives de cette réforme : tout dabord les mathématiques sont une discipline de fond avec un horaire conséquent, mais sur le modèle des humanités, ce qui va éloigner son enseignement du " concret " ; on assiste aussi à une dérive politique en 1923 reposant sur le principe de légalité scientifique, ce qui entraînera une diminution de lhoraire des mathématiques dans trois filières sur quatre.
En 1960, cest une grande réforme structurelle : le 1er cycle du lycée et le primaire supérieur se confondent dans un 1er cycle secondaire unique. Ce processus de massification se fait sur le modèle et lidéologie de lancien lycée, écrasant ceux du primaire supérieur.