Commission
de réflexion sur l'enseignement des mathématiques
Communiqué n° 4
27 novembre 1999
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La commission a examiné lors de cette réunion du 27 novembre trois dossiers : informatique, géométrie et calcul. Elle a dautre part consacré un temps important à une réflexion sur le sujet " statistique-probabilité ". Vous trouverez en annexe la contribution dEdmond Malinvaud à cette réflexion. Nous envisageons de diffuser éventuellement dautres annexes prochainement.
Dossier sur linformatique
Ce dossier a été initié par une intervention de Michel Merle, à partir dun texte regroupant un certain nombre de questions et de réflexions des membres de la commission.
Les ordinateurs et linformatique ont connu un développement explosif en cette deuxième moitié du XX siècle. De la machine de Von Neumann à lordinateur personnel puissant et maniable, capable de sintégrer à un réseau, lévolution semble fantastique. Elle est pourtant très récente.
Les mathématiciens, certains dentre eux au moins (Von Neumann, Turing, ), ont été des acteurs de cette création, à côté dautres spécialistes. Aujourdhui la révolution informatique samplifie encore avec lInternet. Les enjeux économiques annoncés sont énormes.
Lenseignement des mathématiques au Lycée et à lUniversité peut-il rester à lécart de ce mouvement ?
Michel Merle a alors posé trois questions pour faire avancer la réflexion
Comment lirruption des ordinateurs a telle influencé lévolution des mathématiques et la façon de les pratiquer ?
Lordinateur a permis, par sa puissance de calcul, daborder certains objets sous un jour nouveau.
Le traitement par ordinateur pose de nouvelles questions et permet de revisiter certains domaines des mathématiques.
Linformatique a permis lessor des mathématiques discrètes, de la logique appliquée, de lalgorithmique.
La vie des mathématiciens en a été changée.
On peut sappuyer sur ces constats pour tenter desquisser une réponse aux questions suivantes :
Comment faire évoluer les programmes pour accompagner cette évolution ?
Introduire des rudiments dalgorithmique, de mathématiques discrètes.
Réfléchir aux structures de données.
Sinterroger sur la complexité des algorithmes mis en uvre.
Revisiter les contenus actuels.
Comment lusage des ordinateurs peut-il aider ou transformer lenseignement des mathématiques ?
Cette question renvoie immédiatement au problème de la formation initiale et continue des enseignants. Une donnée est à prendre en compte : le renouvellement par les recrutements nouveaux est de 3% lan. A ce rythme on ne peut compter sur les seuls professeurs nouvellement formés pour faire évoluer lenseignement des mathématiques : il faudra donc envisager un très gros effort au niveau de la " formation continue ".
Le tour de table qui a suivi cet exposé a fait apparaître de nombreuses questions de fond. En voici quelques unes en vrac :
Faut-il que lenseignement aille jusquà la maîtrise dun langage, ou doit-il se contenter de former à la maîtrise doutils et de logiciels ?
La réflexion sur lintroduction des nouvelles technologies peut-elle être dissociée de celle sur le temps (rythme scolaire, temps dapprentissage, ) ?
Quels sont les aspects positifs et négatifs que lintroduction de lordinateur va induire aussi bien dans lapprentissage que dans lévaluation ?
Quelle complémentarité peut-il y avoir dans un apprentissage conjoint mathématique et informatique ?
Quelle spécificité le " papier-crayon " doit-il garder par rapport à lutilisation de logiciels ?
Sil doit y avoir un apprentissage de linformatique, celui doit-il être spécifique, ou rentrer dans lhoraire mathématique ?
Un consensus de la commission est que lintroduction dun enseignement dinformatique ne peut senvisager que par un rajout important dheures, sinon ce serait certainement au détriment des mathématiques. La complexité de ce dossier informatique a amené la commission à séparer un certain nombre de pistes pour mieux cibler et étudier certaines dentre elles : les " TICE dans lensemble des disciplines ; les TICE dans les mathématiques ; les mathématiques nécessaires à linformatique ; linformatique, les mathématiques et la recherche ; linformatique en tant que discipline
Pour avancer sur ce dossier particulièrement important, un groupe de travail se réunira au début de lannée 2000.
Daniel Perrin avait envoyé à tous les membres de la commission un texte qui est un pré-rapport détape, dans lequel il avait déjà intégré la plupart des contributions quil avaient reçues. Mais il tient à reprendre ce texte et donc son travail pour y intégrer deux autres dimensions :
Roger Balian lui ayant envoyé un assez long message où il développe son point de vue de physicien, Daniel Perrin va réorganiser son texte afin den élargir la vision, ce qui renforcera son premier paragraphe " Pourquoi enseigner la géométrie aujourdhui ".
Après son second paragraphe " La géométrie dans lenseignement secondaire ", il veut compléter son texte par un troisième paragraphe " Enseignement de la géométrie demain " quil articulera autour de trois problématiques : quoi enseigner ; comment enseigner ; quelle formation des maîtres. Il veut pour cela demander lavis et la contribution de praticiens, enseignants de collège et de lycée.
La commission donne mandat à Daniel Perrin pour mener à bien ce travail. Son texte constituera le premier rapport détape de la commission, et il sera diffusé au plus grand nombre au début de la prochaine année.
Ce dossier a été initié par Michèle Artigue qui a travaillé avec Jean-Pierre Kahane pour produire un texte qui a servi de base à son exposé. Elle a dabord souligné la complexité du thème, puis proposé un certain nombre de pistes possibles pour aborder et structurer le travail de la commission. Le travail sur ce dossier débutant seulement, nous nous contenterons ici de présenter rapidement quelques unes de ces pistes.
Michèle Artigue souhaite que le travail articule deux dimensions : la dimension épistémologique et la dimension didactique. La réflexion épistémologique est en effet nécessaire mais ne nous informe pas sur les conditions de viabilité des choix quelle inspire.
Elle propose de plus de choisir pour structurer le travail un fil conducteur transversal : la distinction " calcul exact - calcul approché ", ces deux dimensions étant présentes dès les premiers contacts avec le monde du calcul et les premières approches des notions de nombre, grandeur, mesure et dimension.
Elle souhaite également accorder une attention particulière à la façon dont lévolution des instruments de calcul influence à la fois les questions relatives au calcul et les façons de les traiter et à la diversité des formes que prend le calcul suivant les domaines mathématiques concernés.
Elle insiste enfin sur la nécessité de prendre en compte la diversité des rapports possibles au monde du calcul, sans hiérarchie entre ces derniers, pour penser lenseignement dans les différents filières.
Pour avancer sur ce dossier, un groupe se réunira au début de lannée 2000.
Ce sujet a été éclairé par quatre exposés de Marc Yor (Probabiliste), Edmond Malinvaud (Statisticien et mathématicien économiste) ; Lucien Birgé (Statisticien) et Claudine Robert (Statisticienne)
Enseignant de probabilité en licence, maîtrise, DEA, Agrégation, Mar Yor a envie de répercuter sa passion pour les probabilités. Il pense que cest un domaine où enseignement et recherche sont en forte interaction. Cest dautre part un endroit privilégié pour " lacte de modéliser " , et pour ceci il ny a aucune raison de mettre en opposition le monde déterministe et le monde aléatoire.
A partir de cinq exemples, il a alors montré comment " revisiter " certains résultats classiques de lanalyse par un éclairage probabiliste.
Edmond Malinvaud a articulé son exposé autour de deux questions :
Pourquoi est-il si difficile damener des étudiants à se familiariser avec des raisonnements sur le risque, laléatoire, linduction, léconomie mathématique ?
Partant du constat que les étudiants ne sont à laise que si le problème est déjà mathématisé quils restent souvent indécis, désemparés, hésitants si on leur demande le champ de validité de ce quils viennent de faire et que dune manière générale ils ne savent pas sy prendre pour modéliser, il en conclut que ces étudiants nont pas été familiarisés avec ce type de raisonnement, doù la nécessité de leur apprendre à travailler sur des " phases pré-mathématiques ".
Sil y a difficulté daccès, comment faciliter cet accès ?
Une première réflexion doit porter sur les programmes en distinguant deux niveaux : des programmes optimaux en vue de la spécialisation attendue : statisticien, actuaire, professeur déconomie ; un tronc commun où se travailleraient les modes de raisonnement déductifs spécifiques aux probabilités et statistiques, qui ne sont pas très nombreux.
Mais au delà des programmes, la question la plus importante est celle de la familiarisation la plus précoce possible, car elle demande du temps.
Ce pourrait être un des enjeux du lycée, en la confiant aux professeurs de mathématiques qui sont les mieux armés pour la mener à bien.
Lucien Birgé a commencé par rappeler les trois aspects de la statistique :
La statistique institutionnelle : recueil, tri, stockage des données.
La statistique descriptive : représentation des données, recherche de " structures ", analyse exploratoire des données.
La statistique inférentielle : elle part du principe que les données sont une réalisation dun objet aléatoire, doù la nécessité de connaître des probabilités.
Axant la suite de son exposé sur la statistique inférentielle, il sintéresse alors à la modélisation statistique, qui repose sur lhypothèse fondamentale donnée ci-dessus (les données sont une réalisation dun objet aléatoire) et sur lhypothèse de travail que la série étudiée est une suite indépendante à densité inconnue. Les statisticiens utilisent alors trois niveaux de modélisation : paramétrique, non paramétrique classique, non paramétrique adaptatif. Le problème principal est de trouver un compromis entre la " complexité " et la " vérité ".
Lucien Birgé a alors illustré son propos par une étude de cas sur les histogrammes, quon peut appréhender à deux niveaux : façon de représenter les données ; modèle statistique paramétrique.
Claudine Robert a commencé par rappeler ce qui était pour elle un des enjeux fondamentaux de lenseignement de la statistique en lycée : faire comprendre aux élèves la variabilité des distributions de fréquences obtenues par observation et la stabilité de la loi de probabilité choisie pour modéliser, qui est, elle, un objet mathématique. Elle a fait part dactivités menées en Terminale ES dans cet objectif et nous a proposé létude de phénomènes surprenants et la façon dont elle les avait modélisés.
La commission a trouvé dans ces exposés la confirmation quun bon enseignement de statistique ne peut se concevoir sans une bonne maîtrise des probabilités. Mais de manière plus précise, cest la dialectique " statistique-probabilité " qui permet de donner un sens profond aux " belles activités " qui nous ont été proposées. Là encore se pose la question de la formation des enseignants : la plupart non jamais été formés à cette dialectique. On peut leur faire confiance pour sauto-former si cet aspect des statistiques se développent dans lenseignement. Mais cette auto-formation sera telle suffisante pour arriver au sens profond de cette dialectique.
Didier DacunhaCastelle nous a rejoint en fin de journée pour examiner avec nous un certain nombre de points concernant le fonctionnement de notre commission et ses missions. Après avoir reconnu que la commission avait démarré de façon tout à fait expérimentale, il a fait un court exposé où il nous a fait part de son sentiment sur un certain nombre de points :
Si on ne fait rien, on peut craindre quil ny ait bientôt plus de mathématiques en lycée, bien que toute culture scientifique se fonde sur une bonne culture mathématique. En mathématiques, il ny a pas eu le même mouvement dévolution que dans dautres disciplines, la tâche y étant sans doute plus difficile quen biologie ou en physique.
Linformatique ne semble pas avoir fait la même percée dans lenseignement que dans la société, sauf peut-être en mathématiques et à un certain niveau. Ce problème du lien entre mathématiques et informatique peut être formulé en deux questions :
Comment intégrer loutil informatique dans lenseignement des mathématiques ?
Quelles mathématiques faut-il faire pour linformatique ?
Le rôle de notre commission sur ce dossier " mathématiques-informatique " doit être un rôle prospectif qui doit permettre davancer dabord sur les concours de recrutement, et ensuite sur une réflexion sur les contenus denseignement liée à cette arrivée de linformatique (par exemple quelle géométrie faut-il garder ?).
Les autres problèmes (horaires, structures, ) ne sont pas du ressort de la commission. Ce sont des choix politiques, comme l a été lAI (Aide Individualisée), dont lobjectif est de lutter contre la privatisation (recours à des heures particulières ou à dautres structures) Cela repose sur le principe que lécole doit être son propre recours.
Si la commission considère tout à fait légitime que la question des horaires et des structures ne soit pas de son ressort, elle ne peut cependant évacuer cette dimension de sa réflexion. Si elle est tout à fait consciente de lurgence de certains dossiers, comme celui de linformatique sur lequel elle concentre actuellement une grande partie de son travail, elle rappelle que sa mission première est une réflexion à long terme. Si elle a fait le choix de mener de front une réflexion sur plusieurs dossiers, cest pour permettre den mesurer leur complexité et leur interaction. Pour cela, elle a déjà produit de nombreux textes dont elle étudiera la diffusion possible lors de sa prochaine réunion plénière du 11 mars 2000.
La commission a fonctionné pendant plus de six mois sans aucun moyen. Les demandes réitérées de son président Jean-Pierre Kahane de rencontre avec le Ministre de lEducation Nationale nont pas abouti, malgré deux entrevues successivement prévues, mais qui ont du être annulées. Cest finalement avec Didier Dacunha-Castelle, conseiller spécial du ministre, que Jean-Pierre Kahane et Claude Deschamps ont pu résoudre un certain nombre de problèmes matériels. Il en reste quelques uns, tel par exemple la création dun site Internet.
Les associations fondatrices ont toujours soutenu sans restriction notre commission. Leurs présidents ont envoyé un courrier commun au ministre dans ce sens, démarche qui a visiblement fait avancer notre dossier. La commission tient à les en remercier.
Lécho recueilli dans la plupart des milieux liés à lenseignement des mathématiques montrent à la fois la reconnaissance de sa mission et lattente qui est faite des résultats de ses travaux.
Devant labsence de réponse du ministère à ses demandes et la précarité de ses moyens de fonctionnement, la commission sest cependant posée la question de son maintien. Seuls un engagement politique plus marqué et un soutien institutionnel plus fort assureront sa survie à long terme. Seuls des moyens de fonctionnement à la hauteur de ses ambitions lui permettront le travail de profondeur et de qualité quon en attend.
Chacun des intervenants sollicités a accepté de venir nous aider dans notre réflexion. La plupart des membres de cette commission ont déjà fourni un gros travail et sont prêts à continuer à sinvestir dans la mission qui leur a été confiée, à la fois importante et passionnante, délicate et lourde.
27 novembre 1999
Comment puis-je servir au mieux votre groupe de réflexion ? Sûrement en faisant appel à mon expérience directe, même si elle est un peu ancienne, plutôt quen minspirant de ce que jai appris du fait de ma participation au Conseil National des Programmes du Ministère pendant cinq ans, ce à quoi je ferai référence dans la troisième partie de ce petit exposé.
Pour faire court je dirai que mon expérience directe a porté sur lenseignement de la statistique économétrique, et à lenseignement de léconomie mathématique, cela dans un cas comme dans lautre à des étudiants sortant de lEcole Polytechnique ou dun cycle scientifique.
Ma contribution consiste en une réflexion sur deux questions :
1 - Pourquoi est-il si difficile damener des étudiants bien sélectionnés, et bien formés par ailleurs, à se familiariser avec le raisonnement sur laléatoire et le risque, avec le raisonnement inductif sur les données statistiques, et avec même une bonne appréciation du sens des résultats obtenus par léconomie mathématique ?
2 Puisquil y a dans les trois cas une difficulté daccès à un champ important de la connaissance moderne, comment faciliter cet accès ? et à quels enseignants cela revient-il ?
Traitant de ces questions au niveau des seconds et troisièmes cycles universitaires, ce que je vais dire cherchera à être pertinent aussi aux niveaux inférieurs.
Je mexplique sur ma première question en essayant dexpliciter où est la difficulté.
Dans les trois cas, le raisonnement sur laléatoire, linduction à partir de données statistiques, la recherche des résultats par léconomie mathématique, nos étudiants sont à laise dès lors que le professeur leur a entièrement spécifié un problème mathématique à résoudre. Létudiant nest pas nécessairement adroit pour la solution du problème, mais il a compris ce quil a à faire et il sait identifier quand il a réussi à résoudre le problème. En ce sens, il est à laise.
Mais uniquement dans ce sens très étroit. Si on lui demande de préciser le champ de pertinence, cest-à-dire le domaine dapplication, du problème mathématique et de la solution quil y a apportée, il se sent désemparé et très hésitant. A fortiori en est-il ainsi si on ne lui a défini aucun problème mathématique et quon la laissé libre du choix du raisonnement face à une situation concrète de risque, ou face à une base de données statistiques susceptible déclairer un phénomène concret. Il en va de même de létudiant confronté à une assertion floue de théorie économique quil faudrait soit invalider soit confirmer.
Dans les trois cas létudiant ne sait pas comment sy prendre pour appréhender la pertinence du modèle mathématique qui lui est offert, a fortiori pour trouver le bon modèle à appliquer. Pourquoi cette incapacité à bien modéliser, ou même simplement à juger de la valeur dun modèle proposé ?
Ce peut être dabord parce que lenseignement français a souvent été conçu comme devant être reçu passivement par les étudiants. Mais je crois quil y a plus, dans les domaines dont nous parlons. Il y a plus parce que, premièrement, les étudiants nont pas été assez familiarisés avec les phénomènes en cause, beaucoup moins familiarisés quavec les phénomènes du monde physique, considérés de plus comme certains et comme exactement observés. Il y a plus parce que, secondement, la bonne modélisation est moins évidente, donc plus délicate à trouver et moins persuasive, plus perfectible, quand on croira lavoir trouvée.
Voilà quel est essentiellement mon diagnostic en vue dexpliquer le constat que jai fait sur mes étudiants quant à leur difficulté à assimiler nos approches sur toutes les phases prémathématiques de notre travail à nous probabiliste, statisticiens ou économistes.
Avant de vous exposer mes réflexions sur les moyens qui permettraient de faire face, du mieux possible, à cette difficulté, permettez moi une incidente concernant les programmes de mathématiques.
II
Il est bien entendu possible de faire linventaire des modes de raisonnement mathématiques déductifs utilisés dans une discipline, aux divers endroits et niveaux où elle est pratiquée. On peut ainsi concevoir des enseignements particuliers de mathématiques qui servent à former aux divers métiers, notamment à ceux de la recherche et de ses applications. On peut même se proposer de définir les programmes optimaux de mathématique qui formeraient :
Evidemment chacun de ces programmes optimaux, le mieux adapté dans chacun des cas à une finalité professionnelle particulière, comporterait un enseignement de base, visant à communiquer la compétence dans certains modes de raisonnement abstraits fréquemment employés dans de nombreuses disciplines. Il est même probable que, sans sécarter sensiblement de loptimalité, on pourrait regrouper en un même " tronc commun " les enseignements mathématiques de base de diverses filières professionnelles.
Je ne suis pas un spécialiste, je nai pas consacré beaucoup de temps à réfléchir sur ce que pourraient être les programmes mathématiques optimaux pour les métiers que je connais. Cependant je suis assez convaincu que, sagissant des besoins en mathématiques déductives, ces programmes optimaux seraient déjà couverts en très grande partie par un tronc commun denseignements mathématiques. En dautres termes les modes de raisonnement déductifs qui seraient nettement spécifiques aux probabilistes, aux statisticiens ou aux économistes ne me semblent pas devoir tenir beaucoup de place. Ce sentiment repose sur deux impressions :
Tout ceci est, vous le comprenez, intuitif plutôt que démontré. Mais je peux citer deux expériences personnelles qui corroborent en quelque sorte mes intuitions.
Vous avez sans doute compris où je veux en venir. Cest à la proposition qui suit.
Nous avons certes besoin pour le traitement de laléatoire, pour linférence à partir des statistiques, pour la modélisation des théories économiques, de jeunes ayant bien appris des mathématiques. Mais les programmes grâce auxquels ils auront appris ces mathématiques importent assez peu. De toute façon, ils nauront pas tout appris ; cependant, en admettant quils aient acquis de bonnes bases générales, nous avons quasiment la garantie quils sauront compléter leur compétence mathématique si éventuellement le besoin sen fait sentir dans la poursuite de leur vie professionnelle.
Jen reviens donc à mon constat initial : oui mais le risque existe que, après cette formation mathématique générale, nos étudiants soient trop peu familiarisés avec laléatoire, avec linductif, avec les phénomènes économiques, le soient trop peu pour se sentir à laise dans le choix des modélisations pertinentes et efficaces. Alors qui peut leur donner cette familiarisation ?
III
La familiarisation exige du temps et un mûrissement progressif de la compréhension. Cest dire quil faut commencer assez tôt, dès lenseignement secondaire même pour les futurs spécialistes. Chacun de ces spécialistes recevra dans sa discipline une formation beaucoup plus avancée que celle dispensée aux lycéens, mais il aura de la peine à lassimiler alors sil arrive à lenseignement supérieur sans aucune préparation. Pour bien comprendre à luniversité il faut quil dispose déjà en quelque sorte dune culture de base concernant le traitement des risques, lutilisation des données statistiques, la conceptualisation des phénomènes économiques.
Or de nos jours toute personne qui bénéficie dune culture générale devrait aussi avoir la culture de base que je viens dévoquer. En somme les objectifs à viser sont :
Selon ce schéma, il est inutile, je crois, que nous nous attardions aujourdhui sur la conception des enseignements supérieurs en cause, qui seront évidemment donnés par des spécialistes des disciplines concernées. Je ne vois quune chose importante à dire. Elle concerne la position des professeurs de probabilité et des professeurs de statistiques par rapport aux professeurs de mathématiques déductives pures. Il serait vain de ma part de chercher à mettre en cause lidée dune hiérarchie dans les capacités intellectuelles des uns et des autres. En revanche, je dois plaider pour que les chaires de calcul des probabilités, et plus encore celles de statistique, soient plus nombreuse quelles le sont aujourdhui. La répartition des postes marque un évident retard sur le développement rapide des professions concernant la traitement des risques, lanalyse des données et linduction statistique.
Quant à lenseignement dans les lycées, nous devons prendre pour données les corps de professeurs tels quils existent. Jai des idées assez précises sur le corps des professeurs de sciences économiques et sociales. Je pourrais être long à leur sujet. Je dirai simplement que nous devons faire confiance à ces professeurs pour familiariser les lycéens quils auront comme élèves avec une première étude des phénomènes économiques et sociaux. Mais nous ne pouvons pas compter sur eux pour dispenser une formation en probabilité et statistique. Cela ne peut revenir, et dans toutes les filières, quaux professeurs de mathématiques.
Je connais beaucoup moins ce corps de professeurs. Mais je men fais une idée, selon laquelle beaucoup de ces professeurs ne sont pas eux-mêmes familiarisés du tout avec le traitement des risques et avec linduction statistique. Dés lors, la première urgence consiste à diffuser cette familiarisation de façon à ce quelle atteigne tous les professeurs de mathématiques des collèges et des lycées, au moins tous les jeunes professeurs. Jimagine que réussir cela serait nettement plus important que réformer les programmes, ce à quoi je ne suis évidemment pas hostile et ce pour quoi je trouve fort judicieuses les idées exprimées notamment par Claudine Robert et Jean-Claude Duperret.